Histoire de la viole de gambe

Description de l'instrument
La viole de gambe est un instrument de musique à cordes frottées. C'est un instrument baroque, qui a été créé au 16e siècle pour agrémenter la Cour du Roi Soleil.
C'est l'ancêtre du violoncelle, ce qui explique la grande ressemblance qu'il peut y avoir entre une viole de gambe et un violoncelle.
« Si les instruments sont prisez a proportion qu’ils imitent mieux la voix, & si de tous les artifices on estime d’avantage celuy qui représente mieux le naturel,
il semble que l’on en doit pas refuser le prix a la Viole, qui contrefait la voix en toutes ses modulations, & mesme en ses accents les plus significatifs de tristesse & de joye »
(M. Mersenne, Harmonie Universelle, 1636)
La viole de gambe (c'est-à-dire de jambe) ou viole est un instrument de musique à cordes et à frettes joué à l'aide d'un archet. Le terme italien viola da gamba
le distingue de la viola da braccio par la différence de la tenue de l'instrument (la basse de viole est tenue entre les jambes, d'où son nom et l'archet est
également tenu de façon différente).
Il existe 7 tailles de viole de gambe: (toutes les tailles sont tenues entre les jambes...sauf la contre-basse)
Dessus de viole (accord : ré, sol, do, mi, la, ré)
Viole de gambe alto (historiquement rarement utilisée: do, fa, si bémol, sol, do)
Viole de gambe ténor (sol, do, fa, la, ré, sol)
Basse de viole de gambe (ré, sol, do, mi, la, ré) (parfois 7e corde: LA)
Grande basse de viole de gambe ou violone en sol (sol, do, fa, la, ré, sol)
Contre basse de viole de gambe ou violone en ré (ré, sol, do, mi, la, ré)
En plus de cette série, une viole plus petite fut ajoutée en France au 18e siècle, pour permettre aux nobles de jouer le répertoire du violon
dont l'usage était considéré comme vulgaire. Cette petite viole, le pardessus de viole, est accordée une octave plus haut que la viole ténor et possède
parfois seulement 5 cordes (sol, ré, la, ré, sol).
Il est important de noter que, contrairement à une idée communément répandue, les deux familles, celle du violon et de la viole, n'ont aucune relation
entre elles : la viole de gambe n'est pas l'ancêtre du violon. Elles sont apparues presque simultanément, mais dans différentes parties de l'Europe.
Histoire des violes de gambe
Origines : de l'Espagne à l'Italie
La viole de gambe est née dans la région de Valencia en Espagne à la fin du 15e siècle. La première peinture représentant une viole de gambe
jouée par un ange, trouvée à Xativa (Valencia), date de 1475. Par ses frettes, le nombre de ses cordes (six) et l'accord (en quartes, avec une tierce au milieu),
cet instrument dérive du luth ou de la vihuella (ancêtre de la guitare). La viole de gambe peut être considérée comme une « guitare à archet ». On la joue en la
tenant sur les genoux, d'où son nom, venant de l'italien « da gamba » qui signifie jambes.
La famille des violes de gambe
La viole de Gambe dérive du « rebab », apporté en Espagne par les Maures vers le 8e siècle. Elle s'est d'abord développée en Espagne,
puis a connu ses heures de gloire en Italie. En effet, l'année 1492, l'espagnol Valencian Rodrigo Borja (En italien Borgia) fut élu au trône papal
et devînt Alexandre VI. Or le Pape amena de nombreux violistes à Rome, lesquels étaient employés pour la musique d'église. La viole eut alors un succès
énorme en Italie et Isabelle d'Este, amoureuse de la « viole a la spagnola » en commanda plusieurs à un luthier renommé, Giovanni Kerlino, à Brescia.
Instruments de la Renaissance
Ces nouvelles violes fleurirent un peu partout sur le sol fertile de la renaissance italienne, et, au début du 16e siècle, un nombre considérable
de traités (à une époque où l'impression des livres était extrêmement chère!), contribua à la rapide diffusion et à l'immense popularité du nouvel instrument.
Ces travaux sont intéressants, par leur avance incroyable et leur compréhension sophistiquée des possibilités expressives d'un instrument à cordes. Ainsi, en 1542 et 1543,
le traité de Ganassi, « Regola Rubertina », ne trouva pas d'égal avant le traité de Leopold Mozart en 1756. Des centres de fabrication de l'instrument en Italie sont nés
des instruments magnifiques. D'importantes « dynasties » de luthiers comme Amati, Stradivari, Guarneri et Ruggieri contribuèrent à élever le nom de Crémone au plus haut niveau.
La ville de Brescia comporte aussi deux noms, Gasparo da Saló (1549 – 1609), et Giovanni Paolo Maggini (1580 - 1630) dont les instruments sont considérés comme des instruments
de premier choix par les solistes actuels. Il est important de noter que de Crémone, Brescia, mais aussi Milan, Venise, Mantoue, Bologne, Florence, Rome et Naples sont sortis,
de 1540 à 1780, des « viola da gamba » et « viola da braccio » (« viole de bras »: c'est ainsi que l'on nommait les instruments de la famille du violon) dont la qualité reste
inégalée jusqu'à nos jours. De l'Italie et de l'Espagne, la viole de gambe s'est alors diffusée dans toute l'Europe. Elle fut en vogue jusqu’à la révolution française, bien que
certains en jouèrent encore jusque vers 1800.
L'eclipse
Le répertoire de cet instrument tombé dans l'oubli pendant plus de deux siècles ressortit à la musique baroque. La viole a en effet été supplantée par le violoncelle, malgré le
traité d'Hubert Le Blanc : « Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle » (1740) et la tentative de création par Michel Corette,
vers 1780, d'un hybride, la viole d'Orphée, définie par ce dernier comme un « nouvel instrument ajusté sur l'ancienne viole, utile en concert pour accompagner la voix et pour jouer
des sonates », avec cette encourageante addition : « Les dames, en jouant de notre viole d'Orphée, n'en paraîtront que plus aimable, l'attitude étant aussi avantageuse que celle
du clavecin. » (La viole d'Orphée était dotée de cordes en métal et ne possédait pas de frettes, ce qui rendait sa sonorité plus proche de celle du violoncelle). Si la viole a fini
par disparaître, c'est parce que le violon, qui était à l'origine un instrument de rue et de cabaret dont le noble ne pouvait pas jouer, prenait peu à peu ses lettres de noblesse...
De plus, pendant la révolution française et après, les violes, sans doute jugées trop aristocratiques, furent transformées en violoncelles, violons et altos...
La redécouverte
Depuis la redécouverte de la musique baroque (ou du moins la découverte de sa spécificité en tant que telle) dans le dernier tiers du 20e siècle, la viole a cependant
été remise au goût du jour, notamment par des interprètes comme les St Georges (pères et fils), Annelore Müller, August Vesinger, et plus récemment en Espagne par Jordi Savall et
son ensemble, Hesperion XX, Jonathan Dunford et son ensemble à deux violes esgales ou encore José Vázquez et son ensemble Orpheon. Le film Tous les matins du monde d'Alain Corneau
a aidé cet instrument à être apprécié par le grand public. Depuis lors, il n'est pas rare que des pièces initialement écrites pour viole mais jouées depuis la période romantique
exclusivement sur violoncelle, soient à nouveau interprétées sur viole.
Le répertoire
Bien que la littérature de consort comprenne des pièces pour 2 à 7 musiciens, la combinaison de deux dessus, deux ténors et deux basses formait un « assortiment de violes » qui auraient
idéalement dû être fabriquées par le même luthier. En raison de ses accents délicats, riches et finement nuancés, la viole était employée de préférence dans les polyphonies, soit combinée
à d’autres voix (motets, madrigaux, chansons), soit dans des formes instrumentales dérivant de modèles vocaux (Ricercare, Canzona, Tiento et Fantasia). Les maîtres anglais – Byrd, Ferrabosco,
Gibbons, Coperario, Lawes, Purcell – trouvèrent dans la fantaisie contrapontique la forme par excellence dans laquelle exprimer les pensées les plus érudites, et la poésie la plus sublime.
Par respect pour leur mérite artistique ces œuvres peuvent non seulement être comparées aux chefs-d’œuvre de la poésie et de l’art dramatique de leurs contemporains anglais, mais aussi
aux chefs-d’œuvre de la musique de chambre de toutes les périodes. Ainsi lorsque Mersenne souhaite montrer quel style de musique convient le mieux à la viole, il choisit d’imprimer une
fantaisie à six parties de Alfonso Ferrabosco, malgré son nom anglais !
L'instrument aristocratique
La viole était à proprement parler un instrument aristocratique dont l’étude faisait partie de l’éducation artistique d’un gentleman, au même titre que le luth, le clavecin et le chant.
Elle était utilisée principalement dans la musique sérieuse, dans les milieux éduqués, contrairement au violon, qui n’était employé à ses débuts que par des musiciens professionnels et
des ménestrels pour la danse et les divertissements. Ainsi, dans son manuel du courtisan “Il Libro del Cortegiano” de 1528, Baldassare Castiglione considère la pratique de la viole comme
indispensable à l'éducation d'un noble: « La musique n'est pas simplement un amusement, mais une nécessité pour un courtisan. Elle devrait être pratiquée en présence de dames, parce
qu'elle prédispose l’individu à toutes sortes de pensées... Et la musique à quatre violes est très enchanteresse, parce qu'elle est très délicate douce et ingénieuse. » Relayant les
idées de l’Humanisme Italien, les princes amoureux d’art que furent Francis 1 (†1547) et Henry 8 (†1547) amenèrent respectivement en France et en Angleterre, non seulement les plus
grands peintres, sculpteurs et penseurs d’Italie, mais également les compositeurs et musiciens de ce pays. À l’époque où la pensée néoplatonicienne était présente à l’esprit de chacun,
Pétrarque et l’Arioste sur toutes les lèvres, la viole de gambe était dans toutes les mains ! « We had our Grave Musick, Fancies of 3, 4, 5 and 6 parts to the Organ, Interpos’d (now and then)
with some Pavins, Allmaines, Solemn and Sweet Delightful Ayres; all which were (as it were) so many Pathettical Stories, Rhetorical, and Sublime Discourses ; Subtil and Accute Argumentations,
so Suitable, and Agreeing to the Inward, Secret, and Intellectual Faculties of the Soul and Mind ; that to set Them forth according to their True Praise, there are no Words Sufficient in
Language ; yet what I can best speak of Them, shall be only to say, That They have been to my self, (and many others) as Divine Raptures, Powerfully Captivating all our unruly Faculties,
and Affections, (for the Time) and disposing us to Solidity, Gravity, and a Good Temper, making us capable of Heavenly, and Divine Influences. Tis Great Pity Few Believe Thus Much, but Far
Greater, that so Few Know It. » Thomas Mace, Musick's Monument, 1676.
Lutherie
Les instruments de la famille des violes ont une forme très variable, qui n'a pas été standardisée. Aussi, on ne peut pas parler de la forme de la viole de gambe, mais DES formes.
Les violes italiennes par exemple, avaient la même forme que les instruments de la famille du violon, alors que les violes anglaises ont des « épaules » cadentes, comme la contrebasse
moderne... mais il existe aussi des formes très originales. Le son est considéré plus doux, peut-être plus mélancolique, que celui du violon, ou bien plus aigre et grinçant, selon les
sensibilités : en effet, la viole de gambe est un instrument dont la popularité connaît des éclipses. Au 17e siècle, en France, c'était l'instrument noble, tandis que les violons,
considérés comme instruments populaires, étaient réservés à l'accompagnement des danses et aux musiciens de rue.
Quelques compositeurs d'œuvres pour violes
Henry Purcell
Sainte Colombe
Marin Marais
Antoine Forqueray
François Couperin
Diego Ortiz
Jean Sébastien Bach.